
Parmi les épisodes de l’histoire de l’Espagne injustement oubliés, l’attitude de la diplomatie espagnole durant la Première Guerre mondiale (1914-1918) est à souligner tant elle a permis à de nombreux citoyens européens ou américains de garder espoir au milieu du conflit.
Miné par une crise économique profonde et par de graves problèmes sociaux, militaires et logistiques, notre voisin pyrénéen ne peut en effet se permettre d’entrer en guerre, que ce soit aux côtés de la France, du Royaume-Uni et de la Russie (son choix le plus probable) ou des Empires centraux. La population est par ailleurs divisée sur la question, entre aliadófilos (partisans de l’alliance avec Paris, Londres et Moscou) et germanófilos (partisans de l’alliance avec Berlin, Vienne et Istanbul). C’est pourquoi, dès le 7 août 1914, le gouvernement conservateur d’Eduardo Dato déclare sa neutralité dans le conflit, une neutralité qui durera jusqu’à l’armistice de 1918, contrairement au Portugal, à l’Italie et à la Grèce.
Pourtant, la diplomatie espagnole est loin de rester inactive et simple spectatrice dans le conflit. Deux hommes s’illustrent durant ces quatre années par un intense labeur humanitaire en faveur des prisonniers et des populations civiles : Rodrigo de Saavedra y Vinent, marquis de Villalobar, ainsi que le roi Alphonse XIII (1886-1931) lui-même. Le premier est le chef de la délégation diplomatique espagnole à Bruxelles depuis 1913 et il deviendra d’ailleurs ambassadeur d’Espagne sur place après le conflit. Il parvient à éviter la destruction de Louvain par les troupes allemandes, organise un corridor humanitaire entre la Belgique et le Royaume-Uni, permet au petit royaume de continuer à s’approvisionner en nourriture et collabore avec les autorités municipales de Bruxelles et Anvers pour leur éviter de coûteux bombardements. À l’issue de la guerre, le marquis de Villalobar est déclaré citoyen d’honneur des villes de Bruxelles, Anvers, Bruges, Gand et Liège.
De son côté, Alphonse XIII fait installer à ses frais, dans les étages supérieurs du palais royal d’Orient, une Officine pour les Prisonniers, qui coordonne un vaste effort diplomatique pour localiser des prisonniers de guerre ou des disparus, alléger la captivité de certains d’entre eux, etc. Lorsque les citoyens d’Europe et des États-Unis d’Amérique prennent connaissance de ce bureau, de très nombreuses lettres affluent du monde entier vers Madrid pour demander aux services diplomatiques espagnols de sauver ou de retrouver un fils, un mari, un frère, un cousin, etc. Ce sont pas moins de 136 000 prisonniers qui bénéficient de l’aide de Sa Majesté, tandis que 21 000 d’entre eux peuvent être rapatriés et que 70 000 civils sont libérés grâce à l’Espagne. Près de 4 000 visites dans des camps de prisonniers sont réalisées par les diplomates espagnols. Pour ce labeur, le roi d’Espagne est proposé deux fois, sans succès, comme candidat au prix Nobel de la paix (1917 et 1933).